Elles
seront vachères, bonnes d'enfant ou dames de compagnie, maîtresses d'école, maraîchères, brodeuses, tanneuses,
gantières, chapelières, roturières ou issues de familles nobles, couventines ou
demi-mondaines, ouvrières ou bourgeoises, accoucheuses, nourrices, grisettes,
couturières, repriseuses, lingères, cuisinières, femmes de lettres, femmes de
chambre, femmes du monde, deuxième bureau ou rideaux ya ndako, filles du logis
ou créatures, maquerelles ou gouvernantes de curés, servantes ou
courtisanes, cantinières, épicières,
fruitières, fleuristes, marchandes de légumes, actrices, chanteuses,
danseuses à l’Opéra et toutes (et chacune à sa manière) feront la Révolution
française
Elles seront parisiennes, provinciales ou étrangères.
Elles
viendront de Paris mais aussi de Groningen, de Marcourt, de Spitalfields, de Montauban,
de Pamiers, de Ligneries...
Elles
joueront un rôle majeur dans tous les soulèvements populaires, passeront outre à l’interdiction faite aux femmes
non accompagnées d’un frère ou d’un mari de se réunir, de manifester et de
s’exprimer publiquement, battront le tambour, marcheront sur Versailles et
les Tuileries, assiégeront l’Hôtel de Ville. Elles appelleront à l’insurrection,
placarderont leurs idées sur les murs des maisons, constateront que les femmes seront tenues à distance du projet révolutionnaire et s'en inquiéteront, proclameront
le principe d’égalité entre les femmes et les hommes, réclameront un
système d'éducation mixte et l'ouverture aux femmes de tous les métiers, le droit au divorce, le droit de
porter la cocarde, le droit de monter à la tribune et de porter les
armes, de former une garde nationale féminine et de lever des bataillons
d'Amazones pour combattre les monarchies européennes. Elles dénonceront
l'absolutisme, l'esclavagisme, l’oppression des femmes et la misère des classes
populaires. Elles recommanderont la création de maternités, d'ateliers
nationaux pour les chômeurs et de foyers pour les mendiants. Elles
créeront des clubs et des sociétés, tiendront des salons. Elles rédigeront une
Déclaration des droits...
- La
femme a le droit de monter sur l'échafaud; elle doit avoir également
celui de monter à la tribune (art. X)
de la
femme et de la citoyenne et
un des premiers ouvrages de référence de la philosophie féministe (A
Vindication of the Rights of Woman).
Elles
s’appelleront Louise-Renée
Leduc (dite Louise
Reine Audu) (surnommée la Reine des Halles), Anne-Josephe Terwagne (dont le nom wallon
sera francisé en Théroigne) (dite la Belle Liégeoise) (prénommée Lambertine)
(surnommée l’Amazone rouge) (les cheveux courts, vêtue d’une redingote et d’un
chapeau à plumes), Mary
Wollstonecraft, Charlotte Corday, Marie
Gouze (dite Olympe de Gouges), Manon
Roland, Etta Palm, Rose Lacombe, Marie-Thérèse Davoux (dite La Maillard) (ayant
représenté la déesse Raison à Notre-Dame), Sophie Momoro, Anne-Lucile
Desmoulins, Françoise Hébert (née Goupil) (ayant, avant le Révolution, pris le voile sous le nom de Soeur de la Providence), Marie-Madeleine Jodin , Anne-Pauline Léon, Thérésa Cabarrus (souvent appelée
Madame Tallien) (surnommée Notre-Dame de Thermidor)... sans oublier les prophétesses
et les mystiques Suzette Labrousse et Catherine Théot ou les frénétiques comme
Aspasie Carlemigelli...
Au
début de la Révolution la participation des femmes à la vie politique sera bien
accueillie mais la contre-révolution finira par l’emporter et les femmes seront
définitivement exclues du processus démocratique.
Elles
seront peu à peu mises à l’écart, exclues des assemblées politiques et
des organisations révolutionnaires, invectivées…
-
Bacchantes sanguinaires ! Catins du peuple !
déclarées
folles, emprisonnées, internées, exilées ou guillotinées.
En mai
1795 Convention interdira aux femmes de s’attrouper à plus de cinq personnes.
Elles seront contraintes de s’effacer, de regagner leur foyer, leur salon, leur
lavoir, leur cuisine ou leur trottoir. Elles seront chassées des tribunes,
voire dénudées et fouettées publiquement par des mégères jacobines.
Déjà
traitée, dans le passé, de grenadier femelle par Fabre d’Eglantine et brocardée
dans une plaquette intitulée « Réclamation des courtisanes parisiennes
adressée à l’Assemblée nationale », Blanche-Neige sera désormais
accusée d’être un tapin et une souillon, une factieuse troublant l'ordre public* et subvertissant l'"ordre de la nature", une intrigante cherchant à
soulever le menu peuple et à renverser les institutions.
Et ce
sera la restauration des pouvoirs du phallocrate reproducteur, dominateur et conquérant incarné par le Directoire et, ensuite, par Napoléon
Bonaparte : machisme, autocratie, campagne d'Egypte, instauration du vote
censitaire et mise en place d'un régime de propriétaires (une bourgeoisie
enrichie par la spéculation sur les biens nationaux), restauration de
l’esclavage et guerres d'invasion... annonciateurs de la conquête de l'Algérie (entreprise à partir de 1830... mais envisagée et préparée par Napoléon dès 1808) et, sous la IIIe République, de l'appropriation armée de nombreuses régions
d'Afrique, d'Asie (Indochine) et d'Océanie.
Désormais les mâles vigoureux, devenus les hardis explorateurs de nouveaux territoires, de nouveaux culs et de nouveaux marchés, pourront quitter impunément les vieux parapets, sillonner les mers et les continents, piller toute la planète sous prétexte de diffuser les idéaux de la Révolution française, s'approprier, chevaucher et syphiliser des "femmes exotiques" fantasmées comme "lascives et soumises", des prostituées impubères et des orphelins "beaux comme des anges"... chanter** les colonies et les légionnaires !
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*
Autres lieux, autres femmes, autres combats… mais des liens possibles. Un ami
me rappellera l'histoire de Kimpa Vita, appelée aussi Dona Béatrice, créatrice
du mouvement dit des Antonins qui luttera pour le retour au monothéisme Kongo et contre la traite négrière. Kimpa Vita sera accusée d'être sorcière et hérétique et brûlée vive à 22 ans, au début du
XVIIIe siècle, avec son enfant et son compagnon, à Evolulu, un village situé à proximité de Mbanza
Kongo, à l'instigation de deux missionnaires capucins de la Sainte Inquisition,
Bernardo da Gallo et Lorenzo da Lucca, agissant de concert
avec le Roi du Kongo, Pierre IV, dont Kimpa Vita aura dénoncé la participation
active à la vente de gens comme esclaves.
- Une spéculation, certes... mais c'est loin d'être absurde !
que des Antonins (le mouvement antonianiste survivra à la mort de Kimpa Vita et de nombreux antonins seront emprisonnés et revendus comme esclaves) auront pu participer à la révolution de Bois Caïman considérée en Haïti comme l’acte fondateur de la guerre de l’indépendance, le premier grand soulèvement collectif contre l’esclavage qui mettra fin à la traite négrière.
** Un
chant choral d'orientalistes, africanistes, océanistes, islamologues, sinologues et égyptologues, islamologues et arabisants, indianistes et aborigénistes et autres
"spécialistes" autoproclamés de différentes civilisations du monde et idéologues de
la colonisation... Avec une pensée toute particulière pour (parmi tant
d'autres) quelques artistes, écrivains, musiciens et personnages, étonnants
voyageurs et amateurs de "nouveautés" (hommes-oiseaux, femmes-chats, images, formes,
couleurs, étoffes, atours, bijoux, sons, parfums, signes et mots, arts et métiers... bois rares, minerais précieux, plantes et fruits
tropicaux, espèces animales et humaines à exhiber dans des zoos ou des musées de l'homme), de "danses rituelles", de
"coutumes ethniques", de "paradis artificiels" ou de "pratiques sexuelles
innovantes" que les colonies auront "inspiré"... ou qui les
auront habitées et/ou justifiées : Ingres, Eugène Delacroix, Théodore
Chassériau, Eugène Fromentin, Jean-Léon Gerôme,Victor Hugo, Joseph-Arthur de Gobineau, Charles Baudelaire,
Arthur Rimbaud, Ernest Renan, Paul Gauguin, Henri Rousseau (et même Matisse et
Picasso au début du XXe siècle), Pierre Loti, Ernest
Psichari, Fernand Allard l'Olivier, Tintin, Tarzan, Alexis Léger (dit
Saint-John Perse), Edith Piaf ou Michel Sardou...